OPINIONS : Réponse de Dr Seyni Ganda au GAPP de Issoufou Mahamadou
J’ai pris connaissance de la réaction du Groupe d’Analyse et Prospection Politiques (GAPP) d’Issoufou Mahamadou suite à mon analyse sur l’article 12 de la « Charte ». Il me paraît utile de lui répondre sur les points essentiels.
Issoufou Mahamadou commence en me plaignant d’être « incapable d’accepter que le peuple Nigérien dans sa diversité aspire à sortir du joug linguistique hérité de la colonisation ». Mais de quel peuple parle-t-il exactement ? J’avais naïvement cru que les Assises de la Refondation, qui ont adopté la fameuse Charte, étaient une assemblée du « peuple dans sa diversité ». Or, force est de constater que cette question cruciale n’avait pas été abordée durant les assises. Ce n’est qu’ensuite, dans l’opacité la plus totale, que cet article a été inséré sous sa forme actuelle, sur conseil d’Issoufou Mahamadou. C’est ce que j’ai dit, et sa réaction me donne raison. Mais qu’il se le dise : lui n’est pas « le peuple dans sa diversité ».
A propos de l’alinéa 1 de l’article
Issoufou Mahamadou croit tourner en dérision ma remarque sur les langues non nigériennes en se demandant si je propose de constitutionnaliser chaque langue entendue dans les rues des villes du Niger. Non, Monsieur le Président, quand vous citez les onze langues du Niger pour dire que ce sont des langues parlées, vous ne les constitutionnalisez pas. Bien au contraire. En les cantonnant à leur simple statut de langues parlées, vous les privez de cette dignité. Nulle part dans le monde, on n’énumère les langues parlées dans une constitution. C’est un fait aisément vérifiable. Par contre, il est toujours question de langues officielles, de langues nationales et très rarement de langues régionales.
A propos de l’alinéa 2 de l’article
Issoufou Mahamadou m’accuse d’être « obsédé » et « dérangé » par le Haoussa. De la part d’un homme de son rang, je trouve cette accusation déplorable, ne reposant sur aucun fondement à l’examen de mes propos.
Mon propos n’est pas contre le Haoussa – qui est une langue noble et riche, parlée par des millions de nigériens – mais contre la logique d’exclusion qui vise à réduire les autres langues à l’insignifiance. Vous prétendez défendre la « libération de nos langues » mais en réalité vous faites la promotion d’une hégémonie linguistique au profit d’une seule langue. La souveraineté, ce n’est pas écraser les autres langues, c’est les reconnaître toutes à égalité. Même en France, qui est paradoxalement votre modèle en l’espèce, vous le Zancin Kassaïste, le français n’est pas la langue nationale mais la langue officielle.
Monsieur le Président, je vous invite à lire l’article 5 de la constitution de la 7e République du Niger (du 25 novembre 2010), sur la base de laquelle vous avez été élu à deux reprises :
« Les différentes communautés composant la nation nigérienne jouissent de la liberté d’utiliser leurs langues en respectant celles des autres.
– Ces langues ont, en toute égalité, le statut de langues nationales.
L’Etat veille à la promotion et au développement des langues nationales.
La loi fixe les modalités de leur promotion et de leur développement ».
Faut-il rappeler que cette constitution avait été adoptée par référendum ayant mobilisé le suffrage de plusieurs millions des citoyens ?
Monsieur le Président, pourriez-vous nous expliquer ce qui a changé au Niger pour que cette écriture empreinte de sagesse ne soit plus pertinente aujourd’hui et que nous pourrions déclasser certaines langues et établir une hiérarchie entre elles ?
A votre place, j’aurais été gêné de combattre cette disposition majeure de la constitution qui vous a permis de diriger le pays pendant dix ans. Je comprends que vous ayez tourné la page de la démocratie en vous convertissant au Zancin Kassaïsme mais pas au point de jeter le bébé avec l’eau du bain, tout de même.
A propos de l’alinéa 3 de l’article
J’ai dit que l’anglais n’est pas une langue de travail au Niger. Dire le contraire, c’est aussi absurde que d’affirmer que le Lingala ou le Zoulou est une langue de travail dans notre pays. Quant au français, vous vous vantez d’avoir « osé », mais dans les faits, ce « tournant symbolique » n’a eu aucun impact concret. Vos proclamations ne changent pas la réalité.
En somme, je persiste et signe : l’article 12 est un texte d’inspiration malsaine qui porte des desseins politiques malveillants. Nous faisons aujourd’hui face à des urgences de type existentiel. Occupons-nous-en. Sérieusement. C’est à ce prix qu’un jour, d’autres générations, dans des conditions plus favorables, auront à traiter la question de l’enseignement de nos langues nationales. Pour le moment, restons fidèles à l’article 5 de notre dernière constitution consacré par toutes nos constitutions antérieures : l’égalité des langues, le respect des communautés et la cohésion nationale.
Dr Seyni Ganda