JUSTICE : Le Procureur général éjecté, la nécessité de rappeler et de clarifier les compétences, attributions et limites de sa fonction (Analyse)
La récente polémique concernant le désormais Ex- Procureur général et la décision de mettre fin à ses fonctions appelle un rappel rigoureux des textes applicables et des principes qui régissent le ministère public. L’objectif est de clarifier les compétences, attributions et limites de cette fonction, tout en mettant en lumière les dysfonctionnements procéduraux constatés dans l’affaire récente dite « des cigarettes ».
1. Le principe d’autorité hiérarchique
Article 3 de la loi n° 2018-37 portant statut de la magistrature :
« Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du ministre de la Justice. »
▪︎ Le ministère public est organisé hiérarchiquement et agit sous l’autorité du ministre de la Justice. Dans l’affaire présente, cette autorité s’est exercée lorsque des dysfonctionnements majeurs ont été constatés dans le traitement de la plainte de l’État.
2. Les attributions devant la Cour d’État
Article 16 de l’Ordonnance n° 2023-11 du 5 octobre 2023 déterminant l’organisation, les missions et le fonctionnement de la Cour d’État :
« Le Procureur général, le Premier avocat général et les avocats généraux exercent les attributions du ministère public auprès de la Cour d’État. »
▪︎ Le Procureur général avait compétence pour instruire et conduire l’action publique dans le dossier. Or, au lieu d’exercer pleinement ce rôle, il a conditionné la poursuite à une constitution de partie civile de l’État, alors que l’action publique pouvait non devait être exercée directement par le ministère public en vertu du principe de loyauté.
3. L’opportunité des poursuites et ses limites
Art. 638 (nouveau) : (Loi n° 2016-21 du 16 juin 2016) (Alinéa 1. Loi n° 69-5 du 18 février 1969). «………….S’il y a lieu à poursuite ou s’il y a plainte avec constitution de partie civile, le procureur général requiert l’ouverture d’une information.»
▪︎ Ce pouvoir d’appréciation est encadré. Dans l’affaire présente, un classement a été décidé sur le fondement d’une transaction, alors que des mesures de confiscation avaient déjà été ordonnées par un juge , créant une contradiction avec les règles du Code des douanes qui exigent après l’ordonnance de confiscation, le règlement préalable de la valeur totale de la marchandise dès lors que les voies de recours ( en l’occurrence l’opposition ou l’appel ) n’ont pas été exercées.
▪︎ Exiger ensuite de l’État une constitution de partie civile et une caution de 10 millions pour relancer la procédure a déplacé sur la victime – en l’occurrence l’État – la charge de l’action publique, en contradiction avec l’esprit de l’article 638 CPP.
Or « Conformément à l’article 638 nouveau du Code de procédure pénale, dès lors qu’une plainte est déposée avec constitution de partie civile, le Procureur général est tenu de requérir l’ouverture d’une information, ce qui le prive de tout pouvoir d’appréciation sur l’opportunité des poursuites. »
4. Les obligations de diligence et de loyauté procédurales
Article 1er du Code de procédure pénale :
« L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats du ministère public. »
▪︎ Ce principe impose d’agir avec célérité. Dans l’affaire présente, le report des réquisitions jusqu’à l’expiration de la garde à vue (22 septembre 2025 à 19h30) avait pour but la libération automatique des mis en cause. Cette carence procédurale s’analyse juridiquement comme une entrave à la justice, car elle a compromis l’efficacité de l’action publique.
5. La neutralité attendue du ministère public
Article 5 du Statut de la magistrature :
« Les magistrats doivent s’abstenir de toute action ou mention de nature à politiser leur fonction ou à altérer l’impartialité de la justice. »
▪︎ La mention de la DGDSE dans un dossier de fraude économique a introduit une dimension politique étrangère à la nature du litige. Cette référence, sans base légale, a contribué à discréditer une plainte régulière déposée par l’État et a altéré la perception de neutralité attendue du ministère public.
En conclusion
Le cadre normatif est clair :
▪︎ le Procureur général agit sous l’autorité du ministre de la Justice (Statut de la magistrature, art. 3),
▪︎ il exerce les attributions du ministère public devant la Cour d’État (Ordonnance n° 2023-11, art. 16),
▪︎ il apprécie l’opportunité des poursuites dans le respect de l’intérêt public, des délais et de la régularité procédurale (CPP, art. 638),
▪︎ il doit agir avec diligence, loyauté et neutralité (CPP, art. 1er ; Statut, art. 5).
Dans l’affaire des cigarettes, les dysfonctionnements constatés – classement contestable, transfert indu de la charge de l’action publique, retard volontaire dans le but de créer une nullité procédurale, politisation inappropriée – traduisent non une méconnaissance de ces obligations mais une mauvaise foi manifeste susceptible d’etre qualifiée d’entrave à la justice . La décision de mettre fin aux fonctions du Procureur général n’apparaît donc pas arbitraire, mais découle d’une exigence de conformité aux textes et de préservation de la crédibilité de l’institution judiciaire.
Lux Mea Lex
Bana Ibrahim
Juriste