SOCIETE : Aïssata Karidjo Mounkaïla, la pionnière qui a donné une voix aux femmes du Niger
Dans l’histoire politique d’un pays, certaines figures ne disparaissent jamais. Elles restent gravées comme des repères, des éclaireurs qui ont ouvert des brèches là où il n’y avait que des murs. Au Niger, le nom d’Aïssata Karidjo Mounkaïla s’inscrit dans cette mémoire collective : Secrétaire Générale et elle devient la Présidente de l’Association des femmes du Niger (AFN) et première femme députée à siéger au Parlement.
Née en 1942, dans un contexte où les pesanteurs sociales enfermaient la femme dans un rôle secondaire, Aïssata Karidjo a très tôt fait le choix de l’engagement. Diplômée de l’École nationale d’administration de Niamey, elle intègre la fonction publique en 1967. Mais son regard dépasse l’administration : elle sait que le véritable combat se situe ailleurs, dans la reconnaissance du droit des femmes à exister pleinement dans la cité.
En 1977, elle rejoint l’Association des femmes du Niger, une organisation pionnière qu’elle contribuera à structurer et à diriger. De secrétaire générale à présidente, elle transforme l’AFN en tribune des Nigériennes, en outil d’éducation civique et en espace de résistance face à la marginalisation. Elle portait cette conviction simple mais révolutionnaire : une nation ne peut se développer en excluant la moitié de ses citoyens.
Son engagement franchit une étape historique. Elle devient la première femme députée élue à l’Assemblée nationale, ouvrant une voie jusque-là interdite. Elle ne sera pas seule, quatre autres femmes suivront, mais elle restera la pionnière, celle qui a brisé le plafond de verre politique. Son élection n’était pas qu’un symbole : elle s’est traduite par un travail parlementaire assidu, renouvelé à travers plusieurs mandats.
À travers elle, les Nigériennes ont découvert que leur voix pouvait résonner dans l’hémicycle, que leur destin n’était pas limité au foyer ou aux champs. Son parcours s’inscrit dans un mouvement continental où, à la fin des années 1980, les femmes africaines commençaient peu à peu à conquérir leurs sièges dans les parlements.
Son héritage ne s’arrête pas à son élection. Il inspire les réformes ultérieures, notamment la loi sur le quota de 2000, qui impose un pourcentage minimal de représentation féminine dans les instances électives et nommées. Certes, le chemin reste long, mais il a été rendu possible par celles qui ont osé avant les autres.
Aujourd’hui, alors que le Niger traverse des crises multiples, il est plus que jamais nécessaire de relire le message d’Aïssata Karidjo Mounkaïla. Elle nous rappelle que la politique n’est pas une affaire de force ou de clans, mais un espace de justice, d’équité et d’inclusion. Comme l’énonce l’article 8 de la Constitution de 2010 : « La République du Niger assure l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives et aux responsabilités publiques. » Cette disposition, loin d’être une simple formule, doit guider l’action de l’État et des partis politiques.
En rendant hommage à cette pionnière, nous rendons hommage à toutes les Nigériennes qui, hier comme aujourd’hui, refusent l’invisibilité. Nous rappelons que le progrès d’une nation se mesure aussi à la place qu’elle accorde à ses femmes dans son destin collectif.
L’héritage d’Aïssata Karidjo Mounkaïla est un appel : celui de continuer la lutte pour que l’exception devienne la norme, et que chaque Nigérienne puisse siéger, décider et contribuer pleinement à la construction de notre République.
Idrissa Soumaila